Je ne sais pas si une mode est en train de se créer, mais à quelques occasions durant la période des Fêtes, j'ai entendu des gens se transmettre des souhaits qui, c'est le moins qu'on puisse dire, témoignent du profond attachement des Québécois pour le hockey en général et pour le Canadien en particulier.
« Bonne année, disaient-ils. Santé, bonheur, argent, amour et une coupe Stanley au printemps. »
Vrai comme vous êtes là.
La coupe fait maintenant partie des meilleurs souhaits de la saison. On se souhaite la coupe, comme on se souhaite de gagner à la loto. Comme on se souhaite de ne pas se retrouver dans les urgences, sans doute. C'est aussi important que ça.
Les sentiments que témoignent les amateurs envers leur équipe semblent plus profonds que jamais. Quand le Canadien gagne, toute la ville, on le sent, est d'humeur agréable. Quand il perd à répétition, comme il l'a fait en décembre, c'est le désarroi, la déprime. On se fâche contre des athlètes pourtant aimés. On réclame un autre entraîneur. On adresse plein de reproches à un directeur général qui, en peu de temps, a redonné à l'organisation une crédibilité perdue.
Ah le Canadien, que ferait-on sans lui? Il meuble nos longues soirées d'hiver. Chaque année, il génère de l'espoir. Et chaque printemps, quand le résultat n'est pas celui qu'on se souhaite, on fait semblant de lancer la serviette. On exige des changements. On en discute tout l'été au détriment d'un temps précieux qu'on pourrait accorder à l'Impact et aux Alouettes et on tape du pied tellement on a hâte au premier jour du camp d'entraînement.
Quelle formation professionnelle de sport n'aimerait pas profiter d'un attachement aussi tangible? D'un amour aussi inconditionnel et d'un pardon aussi rapide après les périodes les plus difficiles?
Dans les hôpitaux, le Canadien se substitue parfois aux bienfaits de la médecine. Il suffit d'une marque d'attention de ses joueurs pour que les enfants oublient la douleur qui les assaille. Je pense à ce garçon qui a peut-être passé un dernier Noël avec sa famille à Saint-Justine. Il aurait bien aimé rentrer à la maison, ne serait-ce que pour quelques heures, mais c'était impossible. Il trouvait le moyen de sourire dans une petite chambre où s'entrecroisent quotidiennement des appareils sophistiqués et des souvenirs de ses héros. Les murs sont tapissés d'objets à l'effigie du Canadien : un chandail, le logo de l'équipe bien en vue, un dossard 76 de P.K.Subban, des photos individuelles de quelques joueurs et un couvre-lit bleu, blanc, rouge lettré C-A-N-A-D-I-E-N-S.
Chaque soir, ce petit bonhomme, qui a 12 ans mais qui a l'air d'en avoir 6, s'endort emmailloté dans sa doudou aux couleurs du Canadien. Les joueurs ne le réalisent pas toujours, mais longtemps après leur départ de Sainte-Justine, les enfants continuent de rêver. Une pensée les anime, celle d'être encore là quand ils reviendront l'an prochain. Quelques-uns d'entre eux seront malheureusement incapables de les attendre.
Ce genre d'évènement ne se limite pas aux enfants. Je me souviens de cet homme âgé, de l'Outaouais, atteint de la maladie de Lou Gehrig et qui avait exprimé le désir de voir Guy Lafleur avant de mourir. Lafleur l'avait visité chez lui. L'homme avait ressenti un tel bonheur qu'il s'était probablement dit qu'il pouvait maintenant partir en paix car plus rien d'aussi grand n'allait pouvoir enjoliver le reste de ses jours.
Je pense à Jean Béliveau qui a semé tant de bonheur dans la vie de gens qui lui étaient inconnus en leur écrivant des notes personnelles de sa main.
Ce n'est pas d'hier qu'il existe des liens aussi étroits entre le public et ses plus grands Glorieux. Le point de départ a probablement été Maurice Richard qui donnait l'impression de nous transporter sur ses puissantes épaules. On l'a bafoué, on a essayé de le faire taire, on l'a suspendu, on lui a ordonné de mettre fin à sa chronique hebdomadaire dans un journal montréalais, mais il n'a jamais cessé d'avancer. C'est un peu à cause de lui si les Canadiens français (c'est comme cela qu'on les appelait à l'époque) ont appris à se tenir debout.
C'est le Rocket, Butch, le Gros Bill, Boum Boum, Henri, Dickie, Flower, le Roadrunner et quelques autres qui ont contribué à créer parmi les Québécois un sentiment d'appartenance avant même qu'on sache ce que cela voulait dire. On était fidèle à des joueurs qui l'étaient tout autant. Jamais il ne leur serait venu à l'esprit de porter un autre chandail. C'était des modèles forts comme on en rencontre très peu aujourd'hui.
Des points de repère
Le Canadien a même constitué certains points de repère dans la vie des gens. Faites l'exercice et vous constaterez par vous-mêmes que cela vous est peut-être déjà arrivé. Il est possible en effet d'associer des chapitres de nos vies à des périodes fructueuses de l'équipe.
Par exemple, certains diront qu'ils avaient cinq ans quand ils ont écouté les premières retransmissions des parties sur les genoux de leur père.
D'autres avaient 10 ans quand on leur a enfin permis de visionner un match au grand complet avant d'aller dormir.
On se souvient qu'on était au secondaire quand on a vu l'équipe remporter la coupe Stanley pour la première fois.
On en connaît qui ont fait l'école buissonnière seulement deux fois dans leur vie, chaque fois pour assister au défilé de la coupe.
Vous voyez ce que je veux dire? Des moments marquants qui sont associés au Canadien, il y en a plein.
Aujourd'hui, on constate que l'attachement d'un public de tous les âges au Canadien est un peu fou, mais il y a eu un point de départ à cette admiration quasi maladive. Une admiration qui s'est transmise de génération en génération. Le hockey a beaucoup changé. Tout coûte excessivement cher, mais on est prêt à en payer le prix pour s'afficher comme le plus irréductible des fans.
Il n'y a pas de prix pour s'approprier le Canadien. C'est le Boxing Day à l'année.
Ronald Corey a été le premier à claironner que l'équipe appartenait au public. Pierre Boivin et Geoff Molson l'ont répété à leur tour. C'est peut-être vrai sur le plan affectif, mais quand sonne la caisse enregistreuse, on sait fort bien qui sont les véritables propriétaires.
Eux aussi aiment bien leur équipe, sinon ils n'auraient pas investi 600 millions pour se l'approprier.