MONTRÉAL – Ce n’est pas tous les jours qu’un fils qui a été propulsé dans le monde du hockey en ayant été embauché par son père peut lui retourner l’ascenseur quinze ans plus tard.

Ce scénario précieux a été vécu par la famille Madden au sein de l’organisation des Ducks d’Anaheim. Dès leur entrée dans la LNH, les Ducks n’ont jamais hésité à miser sur l’expertise québécoise, en commençant par Alain Chainey, pour assurer leur relève.

Depuis sept ans, le département du recrutement a été confié à Martin Madden fils qui s’est naturellement tourné vers son expérimenté paternel lorsqu’il avait un besoin à combler dans son équipe de recruteurs.
Mais ce n’est pas tout, le jeune Québécois qui porte le chapeau de directeur du recrutement a ensuite accordé une première chance dans la LNH à Stéphane Pilotte, devenu dépisteur à temps plein grâce à son vaste bagage de 25 années dans la LHJMQ.

En oeuvrant pour une équipe qui appartient à l’élite de la Ligue nationale avec constance, Madden fils ne se contente pas de renflouer les filiales, il doit également travailler de pair avec son directeur général (Bob Murray) qui désire remporter la coupe Stanley le plus tôt possible.
Le travail exécuté lors du repêchage 2015 est venu confirmer ceci alors que les Ducks ont notamment cédé des choix au repêchage pour acquérir des joueurs de la trempe de Carl Hagelin et Kevin Bieksa.

« Notre équipe vient de connaître quelques bonnes saisons de suite et c’est certain que ça affecte les besoins et le niveau de patience de notre directeur général, il voit que sa fenêtre pour gagner se situe dans le présent. Alors, on s’ajuste en conséquence et il utilise tout ce qu’il a à sa disponibilité pour aider l’équipe maintenant, ce qu’on faisait moins il y a cinq ou six ans quand on songeait plus à l’avenir », a reconnu Madden fils qui s’était concentré à renflouer la banque d’espoirs du club à ses premières années en poste.

En dépit de cette présence québécoise soutenue dans l’organigramme des Ducks, la formation californienne n’a pas souvent pigé du côté de la LHJMQ avec seulement 2 sélections sur 47 en remontant à l’entrée en scène de Madden fils au repêchage de 2009.

Mais ça ne veut pas dire que ce trio francophone ne souhaite pas se tourner vers le circuit québécois, bien au contraire.

« C’est tellement une question qui revient souvent, je me fais taquiner là-dessus », a reconnu Pilotte qui a œuvré comme dépisteur, recruteur en chef, directeur général adjoint et directeur général dans la LHJMQ.

« Ma réponse est très simple, on avait préparé une liste avec environ 150 joueurs pour le repêchage de 2015. Sur ce lot de joueurs, on en avait 27 de la LHJMQ. Au total, 17 joueurs natifs du Québec ont été repêchés cette année et 17 équipes sur 30 n’ont pas sélectionné de hockeyeurs québécois.

« Dans notre cas, c’est arrivé trois fois cette année, dont à deux occasions par un seul rang qu’on a perdu un joueur LHJMQ. Si on avait choisi ces joueurs, on aurait dit que j’ai eu de l’influence et maintenant certains ont pensé le contraire », a décrit Pilotte qui en est à sa première année complète à temps plein avec les Ducks.

Très préparé pour élaborer sur ce dossier, Pilotte a expliqué que ce serait inapproprié de vouloir favoriser les athlètes de la LHJMQ au détriment de ceux des autres ligues.

« Avec nos trois voix, c’est certain qu’on a assez de poids dans les réunions pour les placer au bon endroit dans les listes. Je ne dois pas surévaluer des joueurs en mettant mon poing sur la table pour influencer notre liste parce qu’on pourrait échapper un meilleur joueur. Je ne ferai jamais ça pour avoir absolument un ou deux joueurs de la LHJMQ par année », a poursuivi l’ancien employé des Voltigeurs, des Cataractes, des Foreurs, des Olympiques, du Junior et de l’Armada.

Une chance que le père a engagé le fils

Plus de 40 ans après avoir été embauché comme dépisteur des Flyers en 1970, Martin Madden père a renoncé à sa retraite dont il avait commencé à profiter. Il faut dire que lorsque l’amour du hockey coule dans nos veines, c’est difficile de refuser un poste surtout quand l’offre vient de son fils.

« J’étais à ma retraite et je ne veux pas dire que je me tournais les pouces, mais je suivais le hockey par son entremise. Quand Alain Chainey a décidé de tenter sa chance en télévision, Martin m’a demandé de m’occuper de l’est du Québec pour confier l’ouest à Stéphane à temps partiel.

Stéphane a ensuite mérité un poste à temps plein et je me charge du reste. La jeunesse doit avoir sa place et c’est ce que les Ducks font avec eux. De mon côté, ça me permet d’avoir des nouvelles un peu avant vous les journalistes! », a rigolé le paternel qui est toujours aussi allumé.

Ce privilège de travailler avec son fils chez les Ducks lui permet notamment d’effacer sa déception d’avoir dû quitter le Canadien en 2003.

André Savard, Chris Higgins, Pierre Boivin, Martin Madden et Michel Therrien« Ça faisait seulement trois ans que j’étais avec Montréal. Mais Bob Gainey arrivait, il voulait faire sa place et amener son monde. Ça m’a fait quelque chose parce que je pensais que je pouvais contribuer un peu plus et les aider pendant quelques autres années », a exprimé le sympathique monsieur.

Plus de dix ans plus tard, il s’assure donc de partager tout ce qu’il peut avec son fils.

« C’est vraiment agréable de l’avoir à mes côtés avec autant d’enthousiasme. Ça me permet de me fier sur quelqu’un avec beaucoup d’expérience, mais qui n’a pas autant le nez collé sur l’arbre. Il m’amène une perspective plus globale sur le poste », a remercié son garçon.

Être le supérieur de son paternel au quotidien pourrait représenter une situation délicate, mais pas dans ce cas-ci.

« Ce n’est pas vraiment une relation de patron à subalterne, il joue un peu le rôle de mentor avec moi. Il supporte très bien Stéphane et moi en nous amenant des observations pertinentes », a enchaîné celui dont la carrière de hockeyeur s’est conclue au Midget AAA.

Le nouveau recruteur à temps plein des Ducks profite non seulement des connaissances de l’homme qui a notamment été le directeur général des Nordiques de Québec, mais il s’inspire aussi de sa personnalité.

« La pomme n’est pas tombée loin de l’arbre avec son fils, ils ont des valeurs extraordinaires. Il a beaucoup d’expérience, mais il n’est pas du style à toujours raconter ses histoires. En fait, il est d’une grande écoute et il faut même parfois le questionner pour connaître ses expériences vécues. J’apprends beaucoup à ses côtés », a révélé Pilotte.

Outre ses trois coupes Stanley – deux en tant que dépisteur avec les Flyers et une avec les Rangers – Madden père retire une grande dose de fierté de la carrière son fils. Étrangement, s’il n’avait pas ouvert cette porte à son fils il y a plus de 15 ans, les deux hommes ne travailleraient pas ensemble aujourd’hui.

« Le plus important pour moi, c’était qu’il complète ses études (MBA en commerce et baccalauréat en génie civil). Je l’agace souvent en lui disant qu’il a des diplômes partout sur les murs, mais qu’il fait du hockey! », a raconté le vénérable homme de hockey.

« Pourtant, c’est moi qui lui ai donné sa première chance. Quand j’étais avec les Rangers, il travaillait un peu comme dépisteur avec Halifax et je l’ai recommandé à Larry Pleau pour un poste à temps partiel qui s’ouvrait. Au fil du temps, je me suis déjà demandé si c’était correct de vouloir que mon fils travaille pour moi. Neil Smith, qui était le directeur général, m’a rapidement rassuré là-dessus. »

Peu de temps après, le jour tant espéré s’est présenté pour le fils.

« Je lui ai demandé si ça lui tentait de faire du hockey à temps plein et il m’a dit que ça faisait longtemps qu’il attendait cette demande! Depuis ce moment, je suis fier de lui et fier de lui avoir donné cette chance », a avoué Madden qui profite d’une clause spéciale méritée pour se rendre en vacances en Floride de janvier à mars tous les ans.

Payer pour travailler comme dépisteur

Le chemin de Pilotte vers la profession de dépisteur n’a pas été tracé aussi naturellement. À vrai dire, il s’est dirigé vers ce métier en faisant un détour par le tennis. Professionnel de ce sport à Longueuil, il fréquentait souvent des employés du Canadien dont Claude Ruel.

Tranquillement, le légendaire recruteur l’a ramené dans les arénas et il est devenu son mentor. Pilotte a donc entamé sa nouvelle carrière de recruteur à 21 ans à Drummondville. Le moins que l’on puisse dire, c’est que sa passion a été mise à rude épreuve.

« Pour ma première année en 1989, j’ai fait plus de 300 matchs pour un salaire de 1000 $ dépenses incluses. C’est simple, j’ai dépensé de l’argent pendant au moins trois ou quatre ans pour être recruteur », a admis Pilotte qui a bouclé ses budgets avec des tâches d’enseignant en éducation physique pendant ses années dans la LHJMQ sauf celles à titre de directeur général des Foreurs (1999 à 2007).

Son ascension aurait certainement été plus facile s’il avait bénéficié d’une réputation de renom.
Stéphane Pilotte
« Je ne suis pas un gros nom du hockey ni un ancien joueur de haut niveau et je n’ai pas été entraîneur jusqu’au niveau junior. Je suis arrivé dans ce milieu comme un grand partisan de hockey et je ne pouvais pas avoir des chances aussi facilement que d’autres. J’ai monté les marches une à la fois pour arriver à ce point et c’est important de faire des sacrifices plus que le client en demande pour se prouver et obtenir des promotions », a témoigné Pilotte pour démontrer la motivation requise pour percer.
Son ardeur au travail avait été rapidement remarquée dont par Michel Dumas qui lui avait confié quelques tâches alors qu’il agissait comme dépisteur-chef des Blackhawks de Chicago dans les années 90.

« Je pense que c’était plus par pitié qu’il m’avait embauché, il avait su les montants d’argent que je faisais avec Shawinigan. Je remettais une liste par mois en plus d’aller voir des matchs et ça me donnait presque le triple de mon salaire. J’ai été très chanceux et j'ai pu côtoyer ce milieu pendant cinq ans », a dévoilé comme anecdote le père de deux enfants.

En 25 ans dans la LHJMQ, Pilotte a prouvé son savoir-faire et les Ducks étaient heureux de lui procurer sa première véritable opportunité dans la LNH.

« Je n’en revenais pas qu’il n’avait jamais eu sa chance de monter, je savais que c’était l’un de ses rêves. Il méritait vraiment l’occasion de monter au prochain niveau et de se faire valoir pour nous. Il a un très bon réseau de contacts dans la LHJMQ, il est très professionnel et organisé, mais plus que tout, il est vraiment passionné », a vanté son patron actuel.

« C’est le genre d’homme qui, s’il le pouvait, travaillerait 24 h par jour! C’est un passionné, il a fait sa place après avoir mis le pied dans la porte dans la LNH. Il fait partie de la confrérie et tout le monde l’apprécie », a confirmé Madden père.

Comme il le dit lui-même, il appréciait encore l’environnement du circuit québécois.

« Ce n’était pas une déception de rester dans la LHJMQ. J’aurais été déçu si j’avais arrêté de travailler dans ce milieu sans accéder à la LNH. J’ai monté les barreaux un par un et je suis arrivé très bien préparé en ayant côtoyé des gens comme Doris Labonté, Joël Bouchard, Alain Sanscartier, Benoit Groulx, Pascal Vincent et plusieurs autres », a souligné le dépisteur qui partage son temps entre le Québec, l’Ontario et certains matchs aux États-Unis.

En étant entouré de collègues comme ceux de la famille Madden, Pilotte pourra certainement continuer de monter dans l’échelle de la LNH, mais il n’est pas pressé.
« C’est déjà extraordinaire ce que je fais, c’était mon objectif ultime. J’ai souvent travaillé pour trois équipes en même temps et deux écoles en plus. Maintenant, j’ai un seul travail avec de belles vacances et une belle qualité de vie. Je verrai jusqu’où je peux monter dans la hiérarchie », a conclu Pilotte qui rêverait de devenir un dépisteur d’un niveau plus élevé ou directeur général adjoint dans la LNH.