Francis Bouillon ne devait jamais atteindre la LNH.
Sa conquête de la coupe Memorial à titre de capitaine des Prédateurs de Granby en 1996 devait être sa conquête de la coupe Stanley. Elle devait marquer l’apogée d’une carrière que Bouillon aurait poursuivi dans un club quelconque au sein d’une quelconque ligue mineure avant de s’évanouir dans l’oubli.
Vendredi, deux heures avant le match préparatoire opposant le Canadien à un semblant de club-école des Blackhawks de Chicago, Francis Bouillon a confondu une dernière fois les sceptiques qui n’ont jamais cru en lui. Avec aplomb, avec classe, avec le respect qu’il a toujours voué à son sport, à ses coéquipiers, à ses partisans, le Petit Bouillon a officialisé sa retraite après une carrière de 15 saisons (776 matchs) dans la LNH, dont 581 rencontres réparties sur 11 saisons avec le Tricolore. Il a ensuite été présenté aux amateurs présents dans le Centre Bell. Des amateurs qui lui ont rendu un bel hommage en lui offrant une ovation bien sentie.
Orchestrée par l’organisation du Canadien qui lui a déroulé le tapis rouge dans le cadre de cette étape importante, la journée du nouveau retraité s’est terminée dans le siège occupé jusqu’à l’an dernier par monsieur Jean Béliveau. Flanqué de sa belle Ginette qui l’a toujours épaulé au cours de sa carrière, «Frankie» a été le témoin impuissant de la défaite de 5-1 encaissée par son ancien club.
Je devrais écrire par son club. Car même s’il n’a pu terminer sa carrière dans l’uniforme tricolore parce que l’essai accordé l’automne dernier ne lui a pas rouvert la porte du vestiaire, même si Bob Gainey l’a chassé de Montréal après l’avoir poussé à jouer blessé en séries contre les Bruins de Boston en 2009, Francis Bouillon est toujours un Canadien de Montréal dans le cœur et dans l’âme. Et il le sera toujours.
Sevrage d’adrénaline
Du haut de la galerie de presse, je regardais plusieurs défenseurs du Canadien en arracher contre les Hawks et je me disais que ce géant de petit Bouillon aurait facilement pu faire mieux. Affichant la même forme qui l’a toujours caractérisé, Bouillon donne vraiment l’impression qu’il tiendrait encore son bout dans la LNH. Qu’il épinglerait encore solidement tous les joueurs qui, croyant avoir à faire à un bout de chou, s’aventuraient trop confiants de son côté sans savoir qu’ils y frapperaient un mur. Et je ne parle pas de la bande...
Non seulement Francis Bouillon pourrait jouer, il le voudrait aussi. Du moins un peu. C’est pour ça qu’il s’est expatrié en Suisse l’an dernier avec sa douce et leurs deux fils jumeaux. C’est pour ça qu’il s’est entraîné tout l’été au cas ou une équipe l’appellerait en renfort.
Mais parce que les seules options se trouvaient de l’autre coté de l’Atlantique et que ses garçons lui ont exprimé le désir de poursuivre leur secondaire avec leurs chums, ici, à la maison, Bouillon en homme de cœur qu’il est s’est rendu à l’évidence : le temps était venu de mettre fin à cette carrière qui n’aurait jamais dû commencer.
Francis Bouillon doit beaucoup au hockey. Ce sport qui l’a toujours poussé à se dépasser. Ce sport qui lui a fait vivre la griserie dans la victoire. L’agonie dans la défaite. C’est justement ce manque à gagner en matière de sensations fortes qui poussait Bouillon à toujours repousser une retraite qui s’imposait d’elle-même.
« Je me demande d’où viendra le prochain challenge. Dans combien de temps il arrivera. J’ai peur de ne pas retrouver cette adrénaline générée par les défis que me lançait mon sport », expliquait Bouillon avec cette franchise qui l’a toujours caractérisé. Autant sur la glace, que dans le vestiaire. Et je suis convaincu qu’il affiche cette même franchise dans la vie de tous les jours. Car il n’y a qu’un Francis Bouillon. Le vrai.
Détermination et courage
Francis Bouillon a toujours été un bon joueur de hockey. Il fallait entendre Tomas Plekanec et les anciens coéquipiers de «Frankiebou» défiler les compliments à son égard pour réaliser les qualités de ce défenseur solide, stable, efficace.
Petit de taille, Bouillon était un géant en matière de détermination et de courage.
La détermination vient de sa mère Murielle qui a toujours su le guider d’abord et le pousser ensuite. Le courage vient d’une jeunesse passée dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. Quand Bouillon donnait ses premiers coups de patin et faisait ses premiers pas dans la vraie vie, ce quartier n’avait rien à voir avec le Ho-Ma un brin chic et deux brins tendance que l’ont connaît aujourd’hui.
Que non !
Hochelaga était Hochelaga. Une fois dans la rue, et plus encore dans les ruelles, il fallait être prêt à prendre sa place et à la défendre au besoin. «C’est là que j’ai appris à me faire respecter. Il fallait se tenir debout pour éviter de se faire manger la laine sur le dos», que Bouillon expliquait hier.
Armé de la détermination léguée par sa mère et du courage acquis dans les rues, les ruelles, les parcs et les arénas de son quartier, Bouillon était équipé pour amorcer sa carrière.
Mais il avait encore besoin d’aide.
Cette aide, le petit défenseur l’a trouvée à Laval. Au Colisée où il s’est retrouvé à titre de défenseur de soutien au sein des Titans de la LHJMQ.
Bob Hartley qui dirigeait cette équipe avec la fougue qu’on lui connaît était épaulé par un jeune coach du nom de Michel Therrien. C’est là que la carrière de Francis Bouillon a pris son envol pour vrai.
Coach, ami, père adoptif
Il serait difficile de trouver les mots justes pour décrire la relation qui unit Michel Therrien et Francis Bouillon depuis ce jour où ils se sont connus sur la glace du Colisée de Laval.
L’accolade que les deux hommes se sont donnée devant les journalistes alors que Therrien est venu interrompre le point de presse de son joueur préféré a décrit à merveille cette relation. Sourire aux lèvres, yeux pétillants et un peu embués, Therrien a pris Francis Bouillon sans des bras en lui servant de solides tapes dans le dos. Plus Therrien frappait fort, plus on entendait « je suis fier de toi» résonner dans la salle d’entrevue. Une fois l’accolade complétée, Michel Therrien a lancé avec fermeté et fierté : «Ça c’est un vrai ! »
Le coach du Canadien reparti aussi vite qu’il était venu, Francis Bouillon a dû composer avec une émotion évidente qui a noué sa gorge et chamboulé le discours qu’il avait en tête.
« Michel est la personne qui a cru en moi pour vrai. Je crois qu’il croyait plus en moi que j’y croyais moi même. Vous voyez le coach. Mais moi je vois plus que ça. Je vois l’ami, je vois le père adoptif qu’il a été tout au long de ma carrière. Michel a toujours su me donner des défis que je pouvais relever », a défilé Bouillon.
Ce sont ces défis qui ont mené Francis Bouillon du Titan de Laval jusque sur la patinoire du Centre Bell hier soir à titre de jeune retraité comptant près de 800 matchs en carrière dans la LNH. De fait, il en a disputé 831 si on ajoute aux parties de saison régulière celles disputées en séries.
Malgré tout le bien que Michel Therrien pensait à l’époque et pense encore aujourd’hui de Francis Bouillon, c’était pour aider son équipe d’abord et avant tout et non le grand club – il dirigeait alors club-école du Tricolore à Fredericton – qu’il a tendu une perche à son jeune protégé en 1998. Therrien cherchait un défenseur solide, un joueur de caractère, son genre de joueur autour de qui bâtir son équipe.
Bouillon a hésité. Il avait d’autres offres sur la table.
« C’est là que Michel m’a demandé si je réalisais qu’il était le coach du club-école du Canadien de Montréal et qu’il m’offrait une job. J’ai compris que je ne pouvais refuser. »
L’année suivante, Therrien et le club-école du Canadien – devenu Citadelles – se sont retrouvés à Québec. Michel Therrien attendait Bouillon au Colisée, mais Bouillon a tellement impressionné au camp du Canadien – dirigé alors par Alain Vigneault – que c’est à Montréal qu’il a amorcé la saison. Et qu’il l’a complétée.
Je me souviendrai toujours d’une manchette coiffant un texte de mon collègue Mathias Brunet dans La Presse. En grosses lettres, on pouvait lire : Vigneault voit Bouillon dans sa soupe. À l’autre bout de la 20, Michel Therrien a compris qu’il ne reverrait pas Bouillon de sitôt. Il l’a revu. Un peu dans la Ligue américaine où Bouillon est retourné une fois ou deux. Il l’a surtout revu à Montréal où il a succédé à Alain Vigneault en novembre 2000.
Quinze ans après cette réunion, Michel Therrien a vu Francis Bouillon prendre sa retraite vendredi. Je suis convaincu qu’à quelques reprises pendant que son équipe était hachée finement par des jeunes Blackhawks trop rapides et intenses pour son club, le coach du Canadien aurait voulu le revoir sur la patinoire. S’il avait regardé quelques rangées derrière lui, il aurait vu le visage de Francis Bouillon qui n’attendait qu’un signe de sa part pour sauter dans la mêlée. Parce que même à la retraite, Francis Bouillon demeurera toujours un joueur de hockey. Un vrai. Un vrai de vrai.