Jean Béliveau occupait une telle place dans le milieu du hockey, au Québec, au sein du Canadien et parmi les médias et les membres de sa famille que le premier anniversaire de son décès ne peut pas être ignoré. Il y a un an aujourd'hui, le Québec sportif perdait le plus grand gentilhomme de son histoire.
Élise Béliveau a sans doute beaucoup de peine en ce moment, même si elle a pleuré toutes les larmes de son corps au cours de la dernière année. Sa fille Hélène, comme d'habitude, ne pleurera pas. Après avoir passé toute une vie à l'ombre d'un monument, elle a l'habitude de vivre les événements de l'intérieur sans jamais laisser filtrer ses états d'âme. Ses filles Magalie et Mylène, pour lesquelles leur grand-père a consacré un grand pan de sa vie, auront du mal à vivre ce triste anniversaire.
Ce soir, les quatre femmes de la vie du Grand Jean prendront le souper ensemble. Magalie et Mylène tenaient beaucoup au réconfort de cette réunion de famille.
Pas facile de combler un vide comme celui-là. Élise habite seule le condo qui surplombe le fleuve après avoir partagé l'existence de cet homme durant plus de 60 ans. Parfois, elle pense encore qu'il va se présenter dans l'embrasure de la porte. Parfois, elle l'imagine en train de répondre au courrier de ses admirateurs dans son bureau. Mais ce ne sont que des mirages dictés par les sentiments de solitude qui l'habitent.
Pour Hélène, c'est différent. Le deuil n'est pas encore commencé.
« Parce que je m'occupe de ma mère et parce que je ne veux pas y penser », dit-elle, simplement.
Pourtant, tout dans sa maison témoigne de la présence de son célèbre père. Les murs de chaque pièce sont tapissés de ses photos. Et puis, il y réside temporairement, peut-être même pour très longtemps, puisque ses cendres qu'elle garde dans sa chambre représentent une présence apaisante pour elle.
« Quand mes filles me demandent si elles peuvent aller dans ma chambre, je sens qu'elles ont besoin de s'entretenir avec leur grand-père », précise-t-elle.
C'est pour se protéger contre elle-même qu'elle ne lève pas les yeux en passant devant les photos de son père. Elle ne veut pas permettre à la douleur de lui ronger davantage le coeur. Elle ne regarde pas plus l'urne.
« Au moins, je sais où il est» , dit-elle.
« Je suis incapable de regarder tout cela parce que j'ai peur de m'effondrer, ajoute-t-elle dans un rare moment de confidence. Tout le monde pense que je vais super bien. C'est sans doute parce que je n'ai pas encore commencé à vivre mon deuil. »
Il y avait une connexion très étroite entre son père et elle. Elle a hérité de son caractère et d'une force mentale qui a déjà été solidement éprouvée. Elle n'est pas très jasante sur les choses qu'elle juge personnelles et elle est parfaitement capable de masquer ses émotions.
C'est son père qui avait décidé qu'elle s'appellerait Hélène. Sa mère voulait lui donner le nom de Suzanne. Jean s'est montré ferme. Il tenait à honorer la mémoire de sa petite soeur Hélène qui, à l'âge de trois ou quatre ans, a été happée mortellement par une voiture devant la résidence familiale des Béliveau à Victoriaville.
Ça lui a fait un petit velours d'apprendre cela quelques années plus tard.
« Il ne m'en a parlé qu'une fois sans tomber dans le mélodrame, dit-elle. Mon père était un homme de peu de mots. Ça devait être très important pour qu'un homme décide aussi radicalement du nom de son premier enfant. »
Élise, dont le public du Centre Bell et particulièrement P.K. Subban se sont entichés, va mieux depuis quelque temps. Selon Hélène, elle a tellement pleuré qu'elle avance peut-être plus vite que les autres en ce moment. Ses sorties au Centre Bell lui font grand bien. Elle s'y amuse. Elle reçoit les bisous de Subban avant chaque match. Elle revoit avec immensément de plaisir des gens qu'elle a côtoyés avec son illustre mari durant tant d'années. Bref, elle retrouve peu à peu sa sérénité.
Le cadeau suprême
Hélène et ses deux filles ont eu droit au cadeau suprême qu'elles pouvaient recevoir quand Jean Béliveau a décliné l'offre du premier ministre Jean Chrétien d'occuper le poste prestigieux de gouverneur général du Canada.
On connaît l'histoire. Son gendre, policier de carrière, s'était enlevé la vie en laissant derrière lui une femme et deux filles âgées de trois et cinq ans. Cette responsabilité nationale aurait probablement obligé Béliveau à s'absenter plus souvent que lorsqu'il brillait sur les patinoires de la Ligue nationale. En temps normal, il aurait probablement accepté le poste. Élise s'était même dite d'accord pour le suivre dans cette autre aventure.
Béliveau a plusieurs fois expliqué pourquoi il avait choisi de dire non à l'appel de son pays. Élise a aussi parlé librement de cette proposition à laquelle Jean n'a pas donné suite. Hélène, elle, n'a jamais commenté l'affaire. Pourtant, c'est pour elle qu'il était resté. C'était aussi par amour pour ses petites-filles qui avaient besoin d'un homme fort à leurs côtés dans les circonstances.
Elle a pensé quoi de ce témoignage d'amour très particulier qui est survenu dans un moment où elle était totalement déroutée?
« Disons que j'ai été très contente qu'il reste avec nous », mentionne-t-elle.
Un peu comme ça se passe aujourd'hui, Hélène a refoulé au plus profond d'elle-même les effets de ce suicide qui a frappé fort. Elle affirme qu'elle n'a toujours pas pleuré à la suite de cette tragédie, même si elle a traversé des périodes au cours desquelles sa santé lui a rappelé que le chagrin refoulé a ses limites.
« Je fais tout pour éviter d'avoir à revivre cela, avoue-t-elle. C'est pourquoi je passe à côté de ses photos sans les regarder. J'ai besoin de temps, beaucoup de temps, pour accepter cela. »