Comment diable arrivent-ils à réussir cela? Carey Price s'est blessé sérieusement il y a exactement 40 jours. Une vingtaine de journalistes gravitent autour de l'équipe. C'est l'entreprise la plus en vue et la plus scrutée au Québec et pourtant, il ne s'est pas sorti une virgule sur les détails de cette blessure qui pourrait finir par coûter cher au Canadien.
Si on sait qu'il est blessé au genou droit, c'est parce qu'on a procédé par déductions. Mais pendant au moins quatre semaines, toutes les hypothèses ont été émises sur son état de santé. Il pouvait être blessé à une cheville, à l'aine, à une hanche ou à un genou. On épiloguait là-dessus sans trop savoir.
C'est incroyable le nombre de personnes à l'intérieur de l'équipe qui sont au courant du bilan de santé de Price sans que la moindre information ne filtre dans les médias. À l'heure des médias sociaux, on imagine facilement tout le millage que pourrait faire la plus petite des informations émanant du vestiaire au sujet du meilleur gardien de la ligue.
Dans le monde des affaires et en politique, on laisse souvent couler de l'information dans les médias. Pas au Centre Bell. L'entreprise étale son quotidien sur la place publique par la voie des points de presse très courus du directeur général ou de l'entraîneur, mais les deux hommes jasent uniquement de ce qu'ils veulent bien jaser. Pour le reste, bonne chance.
Ils sont si nombreux à savoir dans le cas de Price: Geoff Molson, son bras droit Kevin Gilmore, Fred Steer, qui contrôle les finances de l'organisation, F.-X. Seigneur, qui est de tous les secrets depuis l'époque de Ronald Corey, le grand patron d'evenko Jacques Aubé, Réjean Houle, qui gagne sa vie dans les bureaux de l'équipe, Marc Bergevin et ses trois adjoints, Trevor Timmins, Martin Lapointe, Rob Ramage, Michel Therrien et ses cinq adjoints, le département de Donald Beauchamp et les 23 joueurs réguliers de l'équipe.
Ajoutez à tous ces gens six médecins reliés quotidiennement ou sporadiquement à l'équipe, le personnel de conditionnement physique, les soigneurs et les préposés à l'équipement. On en arrive à plus de 55 personnes qui n'ont jamais délié leur langue.
Si l'omertà est respecté sur une question aussi cruciale qu'une blessure majeure au joueur numéro un de l'organisation, il en va de même quand le propriétaire, le DG et l'entraîneur s'adressent aux médias sur des questions moins cruciales. Je ne prétends pas qu'on nous envoie dans le champ gauche certains jours. Appelons cela de pieux mensonges.
Comment arrive-t-on à museler autant de gens? Fait-on totalement confiance à la loyauté de chacun ou s'il existe une forme subtile de danger, dans le sens où l'employé secondaire qui commettrait une indiscrétion pourrait y laisser son emploi? En d'autres termes, Bergevin, qui contrôle absolument tout, règne-t-il par la peur?
« Ce n'est pas du tout le cas, affirme Donald Beauchamp, qui en mène lui-même très large dans les relations entre l'équipe et les médias. Nous avons une façon de faire, du président jusqu'au dernier employé. Il n'existerait pas d'autres façons possibles de travailler. Sans cela, ce serait le chaos; la situation deviendrait impossible à gérer. »
Pas de primeurs pour personne
Pour toutes les questions de hockey, Bergevin est celui qui donne le ton. C'est un homme hermétique qui exige la même attitude de ses gens. Sa philosophie est simple. Aucune information privilégée ne doit sortir de l'organisation. Il n'y a pas de scoops pour personne. Même les commentateurs représentant les détenteurs de droits, qui paient des millions de dollars pour être affiliés au Canadien, n'ont droit à aucune confidence sous le couvert de l'anonymat durant leurs conversations personnelles avec l'entraîneur.
« Je dirais "chapeau à nous", lance Beauchamp. Personne n'est favorisé. Il n'y a pas de primeurs offertes aux amis de la maison. Quand on dirige une organisation comme la nôtre, on ne peut pas saupoudrer des informations à droite et à gauche. On ne pourrait pas survivre. Ce serait impossible de travailler dans ces circonstances. Personne ne craint d'être réprimandé ou puni par l'équipe dans le cas d'une indiscrétion. Cette loi du silence est la conséquence d'une culture d'entreprise.» Aucune organisation de la Ligue nationale ne bénéficie de l'énorme attention qui est accordée au Canadien. Son entraîneur fait face à une batterie de médias et de caméras quasi tous les jours. Et dans deux langues, avec toute la pression que cela comporte.
C'est d'ailleurs là où Beauchamp joue son rôle. En plus des points de presse quotidiens à gérer, il doit répondre à une foule de demandes des journaux, de la télé, de la radio et de différentes publications. Et c'est sans compter les entrevues privées que sollicitent les columnists et pour lesquelles le Canadien se fait très accommodant.
Le rôle du vice-président aux communications de l'équipe ne se limite pas à répondre à une forte demande. Il est d'une aide précieuse pour MM. Molson, Bergevin et Therrien. Avant chacune de leur présence devant les journalistes, il les aiguille sur l'allure que pourrait prendre cette rencontre. Il les prévient sur les questions qu'ils pourraient recevoir. Et son pif le trompe rarement.
« L'entraîneur ne peut pas se présenter sur la tribune sans savoir dans quoi il s'embarque, explique-t-il. Ma contribution lui permet de réfléchir sur des questions qu'il ne peut pas prévoir. » Pour une rare occasion, dans le cas récent de Nathan Beaulieu, Therrien n'a pas bien paru. C'était comme si personne n'avait prévu qu'on insisterait autant pour savoir pourquoi on n'avait pas immédiatement envoyé le jeune défenseur faire un séjour dans la salle de repos après avoir reçu un solide coup de poing qui l'a mis K.-O. Therrien a cru que toutes les questions sur le sujet n'avaient pas leur raison d'être et qu'elles mettaient en doute l'intégrité de l'équipe alors qu'elles étaient pleinement justifiées.
Dans ses fonctions, Therrien doit continuellement retirer son chapeau d'entraîneur pour coiffer celui de communicateur. Il n'a pas été préparé pour ce dernier rôle, mais il s'en acquitte fort bien. Les spécialistes en communication sont impressionnés par son aplomb, jour après jour. Pas mal pour un gars qui travaillait dans les poteaux de téléphone avant d'en redescendre et de consacrer sa vie au hockey.
Pas un job de 9 à 5
Pour que la cohabitation se fasse bien entre le Canadien et les médias, c'est essentiel que la relation entre ces deux forces qui s'opposent soit cordiale et respectueuse, soutient celui qui est chargé de faire le lien entre l'organisation et les entreprises de presse.
Selon Beauchamp, tous les gens qui sont à l'emploi du Canadien sont là parce qu'ils sont compétents chacun dans leur domaine. De même, les journalistes attitrés à la couverture de l'équipe sont habituellement ceux qui jouissent de la plus forte crédibilité au sein de leur propre entreprise. Partant de là, tout le reste est une question de relation et de collaboration, ce qui n'élimine pas pour autant les moments de tension ou de conflits.
Toutes les équipes sont régies par les mêmes règles de la ligue. L'une d'elles est l'obligation quasi quotidienne pour l'entraîneur de rencontrer les médias. Dans plusieurs villes de la ligue, ça se fait souvent à la bonne franquette et sans caméra entre l'entraîneur et deux ou trois journalistes. À Montréal, Therrien fait face chaque jour à une certaine forme de bombardement.
Beauchamp et son directeur des relations avec les médias, Dominick Saillant, ont du pain sur la planche puisque les médias sont nombreux et exigeants. Comme ils ne peuvent satisfaire tout le monde, il y a parfois des irritants. On doit toutefois reconnaître qu'ils ne se cachent pas derrière les colonnes du temple pour se soustraire à leurs obligations quotidiennes. Ces deux-là n'ont pas un mandat de 9 à 5. Ils sont disponibles le soir et les fins de semaine. De septembre à juin, les occasions de souffler sont rares.
Un garde du corps
Beauchamp s'acquitte de ses fonctions avec le Canadien depuis 23 ans. Il a vu passer trois propriétaires, trois présidents, six directeurs généraux et neuf entraîneurs. Tous ses patrons passés et présents ne sont pas des professionnels de l'information. C'est normal qu'ils soient bien encadrés par un conseiller qui passe tellement de temps avec les médias qu'il en vient à prévoir leurs questions.
« C'est tout à l'honneur de Marc Bergevin si rien ne sort des murs du vestiaire », précise-t-il. Dans ses rencontres de presse, Marc essaie d'être le plus transparent possible, mais il y aura toujours des informations qu'il gardera pour lui et ce, pour le plus grand bien de l'équipe.
Quand Bergevin et Therrien s'adressent aux journalistes, Beauchamp n'est jamais très loin. Ils ne sauraient se passer de son expertise et de sa vaste expérience. En plus de deux décennies, il a orchestré la majorité des conférences de presse. Avec lui, les patrons se sentent probablement en sécurité.
À cinq pieds, neuf pouces et 150 livres, Beauchamp est leur garde du corps. C'est presque un job à vie que le sien.