Quand on pense aux grands capitaines de l'ère moderne du Canadien, de grands noms viennent à l'esprit sans trop qu'on ait à ressasser des souvenirs. On pense d'abord à Jean Béliveau, puis à Henri Richard, à Yvan Cournoyer, à Serge Savard, à Bob Gainey, à Guy Carbonneau et à Saku Koivu, même s'il a exercé un impact moins important que les autres dans ce rôle.
J'ai connu 13 capitaines, de Béliveau à Brian Gionta. Neuf ont grandi au sein de l'organisation, bientôt un 10e. Les autres sont venus du New Jersey (Kirk Muller et Gionta), d'Edmonton (Vincent Damphousse) et des Islanders (Pierre Turgeon).
On en jase souvent avec Yvan Cournoyer par les temps qui courent, On désire savoir ce qu'il pense de la nomination du prochain capitaine parce que son statut d'ambassadeur du Canadien le rend plus visible et plus accessible. Et parce qu'il s'y connaît parfaitement, oserais-je dire.
Béliveau avait de la prestance, Richard était fougueux, Savard était le sage qui avait des opinions sur tout, Gainey était un leader silencieux et respecté dont Carbonneau s'est beaucoup inspiré pour devenir un bon capitaine à son tour. Cournoyer attirait moins l'attention parce que toute l'application qu'il mettait dans son rôle de capitaine était plutôt discrète. Il rageait dans la défaite. Rien ne lui apportait plus de bonheur qu'une victoire. Il était le prototype parfait du joueur d'équipe.
Une preuve de cela? Un jour, quand est venu le moment d'identifier un successeur à Henri Richard, qui venait de tirer un trait sur sa carrière, on a procédé à un vote, comme on le faisait à une époque où les joueurs étaient assez grands pour choisir leur propre représentant. On a voté secrètement et par écrit dans une petite chambre à l'extérieur du vestiaire. C'est lui qu'on a choisi. À l'unanimité, précisons-le.
A-t-il été un bon capitaine? Il n'a sûrement pas nui. Jugez-en par vous-mêmes. Quand le Canadien a connu une séquence de quatre coupes Stanley consécutives à la fin des années 70, c'est à lui que le président de la Ligue nationale a remis le trophée à chaque occasion. Comme le Rocket, qui a été l'unique capitaine lors de la séquence record de cinq coupes de suite, Cournoyer a porté le « C » pour chacune des coupes qui a marqué la dernière dynastie du Canadien.
Il a été un rassembleur à sa façon. « Quand on perdait deux ou trois parties de suite, je réunissais les gars, raconte-t-il. Il fallait que ça s'arrête là. » N'allez pas lui demander si le prochain capitaine devrait être choisi par les joueurs. S'il était un décideur, la question ne se poserait même pas.
« Les joueurs se connaissent bien entre eux. C'est à eux de choisir leur capitaine. Personne n'est mieux placé pour identifier le coéquipier autour duquel ils vont se regrouper », souligne-t-il.
Dire que Cournoyer a donné les meilleurs années de sa vie au Canadien est un euphémisme. Il garde encore des séquelles de ses 14 saisons avec l'équipe. Des maux de dos d'une douleur atroce l'ont forcé à la retraite. Il a subi quatre opérations au dos qui le laissent avec autant de vis dans le corps. Un genou a été refait au titanium et il vit avec une barre métallique dans l'épaule.
« On dit souvent que les joueurs empochent trop d'argent, lance-t-il en souriant. Il n'y a pas une journée durant ma carrière au cours de laquelle j'ai pensé à l'aspect financier. On ne pensait qu'à gagner. » Et ils ont tous beaucoup gagné. Richard a gagné 11 coupes. Béliveau et Cournoyer en ont gagné 10 chacun. Savard a remporté 10 coupes, huit comme joueur et deux autres à titre de directeur général. Faut-il s'étonner qu'ils aient aussi tous les trois mérité le trophée Conn Smythe, remis au joueur par excellence des séries.
Mon capitaine…
Peu de joueurs ont été mieux préparés au rôle de capitaine que Cournoyer qui s'est intimement lié à Béliveau durant sa carrière. Quand il était son compagnon de chambre, il avait un homme exemplaire sous les yeux. Dans le vestiaire, Béliveau avait de l'autorité. Il était profondément respecté. Sur la route, quand le Grand Jean lui disait: « Allez, il est assez tard. On va se coucher », ce n'était pas le moment de lui proposer d'aller prendre un dernier verre. Il l'écoutait au doigt et à l'oeil.
Cournoyer est peut-être celui qui a le plus touché les gens aux funérailles de Béliveau quand il a craqué dans l'église en lançant avec une voix submergée de sanglots: « Ô capitaine, mon capitaine, bon voyage ».
Pas facile de dire adieu à un homme qui le considérait comme le fils qu'il n'avait jamais eu durant ses premières saisons dans le chandail tricolore. Encore aujourd'hui, le souvenir de sa profonde relation avec Béliveau le hante.
« Il n'y a peut-être pas une journée au cours de laquelle je n'ai pas pensé à lui depuis son décès, précise-t-il. Le chiffre 4 est encore bien présent dans ma tête. Quand je me lève la nuit, il est souvent 4 heures. Une nuit, je me suis réveillé à 4 h 44. Peut-être que je pense à lui parce qu'il arrive à Jean de penser à moi ».
Quand Cournoyer est devenu capitaine, l'exemple lui est venu du plus grand, de Béliveau. Un peu comme ce fut le cas avec Carbonneau, qui a observé Gainey durant huit ans dans ce rôle avant de devenir lui-même un bon capitaine.
Les temps ont bien changé. De qui le prochain capitaine pourra-t-il s'inspirer au sein d'une équipe aussi jeune dont les vraies leaders ne se comptent pas sur les doigts d'une seule main? Si l'élu est Pacioretty, peut-être se souviendra-t-il de tout ce qu'on lui a raconté sur Béliveau au moment de son départ.
Elise Béliveau, veuve de Jean, n'a-t-elle pas déclaré que le jeune Américain lui rappelait beaucoup son mari par son attitude dans l'équipe et par son comportement hors glace?
Pacioretty est né 17 ans après le dernier match de Béliveau. Pour l'inspiration dans la responsabilité qui l'attend, il devra donc s'en remettre aux grands de l'histoire.
Tout un golfeur
Dixit Andreï Markov au tournoi de golf du Canadien : « On m'a mis deux bâtons dans les mains. C'est là que j'ai découvert que je suis gaucher ».