lundi 29 juin 2015

Centre Vidéotron: trois architectes s'expriment

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Publié le 29 juin 2015 à 05h00 | Mis à jour à 07h33
Le gros volume blanc du nouvel amphithéâtre est... (Le Soleil, Patrice Laroche)
LE SOLEIL, PATRICE LAROCHE

Le gros volume blanc du nouvel amphithéâtre est visible de partout dans la ville de Québec

ANNIE MORIN
Le Soleil
(Québec) Après s'en être fait une idée sur plans, les Québécois peuvent maintenant voir de leurs yeux le nouvel amphithéâtre multifonctionnel. Le maire Régis Labeaume a admis récemment qu'il l'imaginait plus petit. Le premier ministre Philippe Couillard a esquivé une question sur la beauté de l'édifice en disant que «tout est relatif», pour ensuite vanter son intérieur et surtout la grande baie vitrée avec vue sur la capitale. Maintenant qu'il est sorti de terre et presque débarrassé de ses échafaudages, que penser du design du Centre Vidéotron, de son rayonnement dans la ville? Le Soleil en a parlé avec trois architectes.
L'architecte François Moreau est fier du hall d'entrée... (Le Soleil, Erick Labbé) - image 2.0
L'architecte François Moreau est fier du hall d'entrée du Centre Vidéotron, qui reprend les dimensions du défunt hippodrome.
LE SOLEIL, ERICK LABBÉ

François Moreau, ABCP Architecture: toujours pas de défaut

C'est l'oeuvre de sa vie. Sa vie «jusqu'à maintenant», prend-il la peine de préciser. Normal que François Moreau, architecte et président d'ABCP Architecture, ne trouve pas de défaut à l'amphithéâtre qu'il a conçu.
«On ne voulait pas de "tant qu'à y être", et il n'y en a pas eu, à peine des opportunités saisies au bon moment à gauche et à droite. Et des "j'aurais donc dû", il n'y en a pas encore. Je ne dis pas qu'il n'y en aura pas, mais peut-être plus pour l'intérieur. À l'usage, il pourrait y avoir des ajustements à faire. Avec l'extérieur, on est très heureux, c'est au-delà de nos attentes», a expliqué l'architecte, rencontré sur les lieux le 18 juin.
S'il apprécie l'effet d'ensemble, le gros volume blanc visible de partout, c'est de la façade dont M. Moreau est le plus fier. Reprenant les dimensions du défunt hippodrome, le hall d'entrée est entièrement fenestré. Imprimés dans le verre, des points blancs de différentes grosseurs créent l'illusion de flocons balayés par le vent. On devine l'intérieur, la structure de bois et le grand déploiement technologique.
«Le soir, quand il est tout illuminé, on atteint vraiment l'objectif qu'on voulait, cette interaction entre l'intérieur et l'extérieur, pour que le commun des mortels qui n'a pas les moyens de rentrer à l'intérieur du bâtiment puisse vivre quand même l'expérience», souligne M. Moreau. «Pour moi, c'est un petit bijou, ce cube de verre.»
Cette façade est difficile à apercevoir pour le moment. Donnant sur le boulevard Wifrid-Hamel, le bâtiment est reculé et caché par un groupe d'arbres matures. L'accès au chantier est encore contrôlé.
Du recul
Ce qui nous ramène au débat sur l'emplacement du Centre Vidéotron. François Moreau n'exprime aucun regret. «Ici, il va devenir le point central d'ExpoCité. S'il avait été en retrait, sur le bord de la rue, il aurait peut-être été plus urbain, avec une activité autour du bâtiment. Sauf qu'on aurait eu moins de recul pour l'admirer et on aurait moins pu aménager des espaces intéressants autour parce que c'était très exigu», plaide-t-il.
Quant aux qualificatifs qui sont attribués à son oeuvre - détecteur de fumée, cuvette, soucoupe volante, entre autres -, le concepteur ne s'en formalise pas. «Form follows function», réplique-t-il, reprenant un des grands principes de l'architecture moderne selon lequel la forme d'un bâtiment doit s'adapter à sa fonction.
Alors que le maire Régis Labeaume avertissait au début du projet que son objectif n'était pas de gagner un concours d'architecture, François Moreau croit cela possible. «On va en gagner probablement plusieurs, à plein d'égards», prédit l'architecte, mettant de l'avant les innovations technologiques du nouvel amphithéâtre, dont la ventilation par les gradins et la construction sans contreventement.
Ces «petits détails» et «le fait qu'il y a une référence à l'environnement dans lequel il est construit, à l'hiver» devraient attirer les regards et les distinctions, croit M. Moreau.

François Dufaux, Université Laval: un peu plus que la note de passage

François Dufaux, professeur à l'École d'architecture de l'Université Laval, trouve «déroutant» que l'amphithéâtre ne s'impose pas davantage dans le quartier Limoilou. Il en est déçu.
«Pour moi, depuis le début, le choix du site est difficilement compréhensible», lâche l'architecte. «C'est censé être un monument dans la ville. Il faudrait au moins que ce soit visible du boulevard Hamel», insiste-t-il, faisant le parallèle avec le vieux Colisée, bien apparent celui-là.
M. Dufaux a hâte de voir comment la future place publique tentera de réconcilier le Centre Vidéotron avec l'environnement hétéroclite d'ExpoCité, de l'ouvrir sur la ville et les gens. Mais il ne croit plus à l'effet d'entraînement économique, car il y a trop de décalage avec le quartier. «On ne fait pas d'argent avec un stade, on fait de l'argent avec ce qu'il y a autour du stade», fait-il remarquer.
Quant au bâtiment lui-même, M. Dufaux considère qu'il tient davantage de l'édifice commercial que du bâtiment public. «On peut comprendre compte tenu de l'angoisse du budget» de 400 millions $, dit-il.
L'expert fait valoir que «la limite est très subtile» entre la simplification, courant architectural applaudi, et le simplisme. Pour lui, cette limite a été franchie. L'ovale blanc lui apparaît banal, sans signe distinctif. Personnellement, il aime bien la petite tour qui fait le lien avec les quartiers de Québecor dans le Ludoplex. Il l'aurait fait monter plus haut, car il y a là possibilité d'un signal, mais «pas très affirmé».
Contrairement aux concepteurs, l'universitaire s'inquiète des comparaisons peu flatteuses avec des objets du quotidien. «La rare violence que les Québécois se permettent, c'est dans l'humour. Ça traduit un certain désenchantement pour quelque chose qui, au bout du compte, a coûté cher», lance-t-il.
Si les qualités esthétiques du bâtiment ne l'impressionnent pas, M. Dufaux reconnaît toutefois les efforts mis sur le hall d'entrée, où il salue le choix de la transparence, l'utilisation du bois, l'ajout d'un écran géant. «C'est élégant, c'est bien fait. Ce n'est pas luxueux, mais c'est honnête», résume-t-il. L'argument voulant que ce soit encore plus beau une fois illuminé ne l'atteint pas. «C'est comme un mannequin qui serait plus beau avec de l'éclairage.»
Globalement, le professeur a l'impression que la barre n'a pas été mise assez haute par l'administration Labeaume. Les sous-traitants ont donc travaillé comme des étudiants qui veulent la note de passage, sans plus, conclut-il. «En langage scolaire, disons que le stade comme tel, c'est un C +, tandis que le hall, c'est plus un B +.»

Régis Lechasseur, Bourgeois/Lechasseur architectes: «sobre et efficace»

Régis Lechasseur est retourné voir le Centre Vidéotron de près - et de loin - avant de dire publiquement ce qu'il en pensait. Il a été agréablement surpris du résultat. «C'est sobre et efficace», tranche-t-il.
L'architecte, dont les bureaux sont situés rue Saint-Vallier, est revenu avec «un bon feeling» de sa visite. Il aime la façon dont le bâtiment s'impose dans le paysage de Québec, même si «c'est nécessairement gros» et «un peu redondant» à distance. «Il n'y a pas de flafla. Je pense que ça va bien vieillir», réfléchit-il à voix haute.
En se rapprochant, M. Lechasseur apprécie l'entrée principale «à dimension humaine», qui donne envie du dedans, de l'action, de l'éclairage nocturne. «J'ai hâte d'aller l'apprécier à l'intérieur», dit-il, curieux de l'effet des coursives ouvertes permettant de garder l'oeil sur la glace en tout temps.
Le jeune homme est impatient aussi de voir les aménagements sur la place publique donnant sur le boulevard Wilfrid-Hamel. Car, pour le moment, «ce n'est pas un secteur où tu as envie d'aller marcher», plutôt un secteur axé sur l'automobile et non le transport en commun. Mais, en même temps, il ne lui vient pas à l'idée de remettre en question le choix du site, plus centre-ville que banlieue. «Je ne vois pas où on aurait pu le mettre pour être mieux situé, à part sur les Plaines!» rigole-t-il.
Pression sociale
L'architecte ne se gêne pas pour dire qu'il est admiratif du travail réalisé par ABCP Architecture, qui a travaillé les plans avec un partenaire américain, Populous. Dans le contexte du retour éventuel des Nordiques et du contrôle rigoureux des finances publiques, ils ont fait face à une grosse pression sociale et politique, fait ressortir M. Lechasseur. «On peut être fiers que ce soit des gens de Québec qui ont fait ça. On n'a pas besoin de chercher bien, bien loin pour trouver des professionnels qui sont capables de faire le travail. À Québec, on en a plusieurs», plaide-t-il.
Quant aux petits noms lancés au visage du Centre Vidéotron, le représentant de Bourgeois/Lechasseur n'y voit pas de mesquinerie excessive. «Il y a toujours du monde qui va trouver ça laid. Si les gens en parlent, c'est déjà bon. Au moins, ils le remarquent.»

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