vendredi 9 mars 2018

Le hockey, secret de la réussite scolaire de jeunes Inuits

Publié aujourd'hui à 4 h 47
Des jeunes joueurs de hockey inuits de l'équipe Natturaliit Photo : Radio-Canada/Laurence Niosi

Deux fois par an, une quinzaine de jeunes joueurs de hockey du Nunavik parcourent 1400 km pour affronter des équipes « du Sud ». Natturaliit est la seule équipe inuite à évoluer dans une ligue qui se trouve dans le giron de Hockey Québec. Rencontre, lors de leur récent passage à Montréal, avec des jeunes qui travaillent aussi fort sur la glace que sur leurs devoirs.
Un texte de Laurence Niosi
À 17 ans, le gardien de but Eric Lemire rêve de hockey junior et admire le joueur étoile du Canadien de Montréal Carey Price. « Jouer dans le Sud, c’est cool », dit le jeune joueur, le plus volubile du groupe.
Ashley, elle, a « d’autres plans » pour l’avenir, qui n’incluent pas le hockey. Initiée par son père, l’adolescente de 17 ans pratique le sport depuis une dizaine d’années. Être en minorité dans un sport de garçon ne l’intimide nullement, assure celle qui joue en défense.
Eric et Ashley font partie d’une quinzaine de jeunes du secondaire de l’école Jaanimmarik, à Kuujjuaq, qui ont fait le voyage pour jouer une portion du calendrier à Montréal et à Sherbrooke. L’équipe mixte Natturaliit (« les aigles » en inuktitut), la première Inuite à intégrer la Ligue interscolaire du Québec, aura fini son séjour avec un très honorable bilan de neuf victoires et trois défaites durant la saison. En série éliminatoire, les jeunes Inuits se sont rendus jusqu’en demi-finale, où ils se sont inclinés devant l’école Selwyn House (Westmount) par la marque de 8-6.
Mais pour cette équipe, les victoires sont moins importantes que l’effort scolaire. Au moyen d’un système de récompenses, les « briques », les jeunes doivent cumuler des points : en se présentant aux entraînements, en participant à des travaux communautaires et, surtout, en faisant leurs devoirs. Car les enseignants, aussi, remettent des « briques ».
Les 16 jeunes qui en ont le plus cumulé peuvent faire le voyage « dans le Sud ». Là-dessus, l’entraîneur de l’équipe, Danny Fafard, est intraitable. « Ils me connaissent asteure. Ils doivent travailler pour », affirme, assis dans la salle de séjour du chalet du Cap Saint-Jacques qui leur sert de base montréalaise, celui qui dirige l’équipe depuis cinq ans.
Siinasi Tassé-Dion, 16 ans, porte le casque qui revient au meilleur joueur de la partie de la veille.
Siinasi Tassé-Dion, 16 ans, porte le casque qui revient au meilleur joueur de la partie de la veille. Photo : Radio-Canada/Laurence Niosi
De Pierrefonds à Kuujjuaq
Originaire de Pierrefonds, dans l’ouest de l’île de Montréal, l’ancien concierge d’école est devenu entraîneur de hockey un peu par la force des choses : d’abord en entraînant fiston, puis en s’occupant d’une équipe dans la communauté crie d’Eastmain, dans le Nord-du-Québec.
En 2008, Danny Fafard s’est associé à Joé Juneau, qui avait récemment mis sur pied son propre programme de hockey avec les jeunes Inuits au Nunavik. Mais la relation de travail entre Danny et l’ex-hockeyeur professionnel a pris fin après deux ans.
Danny est alors retourné travailler dans la région de Montréal, où il a acheté une maison au printemps. Quelle ne fut pas sa surprise en découvrant, à la fonte des neiges, un Inukshuk (un empilement de pierres qui sert de point de repère pour les Inuits) sur son terrain. Danny a vu là un message : quelque temps après, il repartait dans le nord. « C’est le meilleur choix que j’aie jamais fait », affirme le quinquagénaire, qui passe aujourd’hui huit mois par année au Nunavik.
L'entraîneur Danny Fafard, en compagnie d'Eric, Siinasi, et Sammy, quelques heures avant leur partie à Outremont.
L'entraîneur Danny Fafard, en compagnie d'Eric, Siinasi et Sammy, quelques heures avant leur partie à Outremont. Photo : Radio-Canada/Laurence Niosi
Une nouvelle stabilité
L’approche de Danny, axée sur les devoirs et la réussite scolaire, résonne chez ces jeunes du Nunavik, où le décrochage est quatre fois plus élevé que la moyenne provinciale. À en croire les joueurs, son projet réussit là où celui de Joé Juneau a échoué. Annulé fin 2017, le programme de l’ancien joueur de hockey avait été critiqué notamment pour avoir incité les jeunes à manquer trop souvent leurs classes en raison des entraînements et des tournois.
« Ils ne se concentraient pas du tout sur l'école, alors qu’ici nous faisons beaucoup de devoirs, et si nous ne les faisons pas, nous n'allons pas jouer », raconte le gardien Eric Lemire, confirmant les dires de son entraîneur.
C’est aussi la stabilité et la présence continue de Danny que les jeunes apprécient. « Avant Danny, il y avait un autre entraîneur, et je ne sais pas ce qui s’est passé avec lui », indique Siinasi Tassé-Dion.
Si Danny Fafard a un lien privilégié avec les jeunes, c’est en partie parce qu’il se reconnaît en eux. Et les jeunes se confient aussi à lui quand ils vivent des moments difficiles. « Quand j’étais jeune, j’oubliais tous mes problèmes quand je courais après la rondelle [...] Des fois, ils viennent te conter ce qu’ils ont vécu la veille, ce n’est pas facile », raconte-t-il.
Les jeunes joueurs de Natturaliit affrontent une équipe du collège Stanislas, qu'ils ont  défait 6-3.
Les jeunes joueurs de Natturaliit affrontent une équipe du collège Stanislas, qu'ils ont défaite 6-3. Photo : Radio-Canada/Laurence Niosi
Au Nunavik, le taux de suicide par habitant est d'environ six à sept fois celui du Québec. Un taux qui se maintient depuis plus de deux décennies. Le financement annuel de l’équipe (100 000 $) – qui lui permet notamment de payer les très onéreux allers-retours dans le Sud – vient d’ailleurs de « Grandir ensemble », un programme fédéral qui vise entre autres à lutter contre la maladie mentale.
Malgré la proximité entre les jeunes et leur entraîneur, Danny Fafard sait qu’un jour il « retournera dans le Sud », où vivent son épouse, son fils et ses parents vieillissants. « Mes racines sont ici », souligne-t-il à plusieurs reprises.
Mais avant de partir, il veut s’assurer d’avoir formé une relève inuite. « Moi, mon but, c’est de perdre ma job. Quand je vais avoir perdu ma job, c’est que je vais avoir réussi », dit-il.

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